Perspectives

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Un sous-type « TDAH avec dysrégulation émotionnelle »

La régulation des émotions, comme le rappelle Philip Shaw dans une synthèse sur ses liens avec le TDA/H (2014), est la capacité d'un individu à modifier un état émotionnel afin de promouvoir des réponses comportementales et physiologiques modulées en fonction de ses objectifs.

La dysrégulation des émotions est une altération des processus adaptatifs.
Elle engendre des comportements à l'encontre des intérêts de l'individu.
Elle englobe des expressions et des expériences émotionnelles excessives par rapport aux normes sociales et inappropriées par rapport au contexte : des changements émotionnels rapides et mal contrôlés, la "labilité de l’humeur", et une allocation anormale d'attention aux stimuli émotionnels.
Une expression de la dysrégulation émotionnelle est l’irritabilité, souvent liée à une agressivité réactionnelle et à des crises de colère.

 

La dysrégulation émotionnelle est présente chez de nombreuses personnes avec TDA/H. On sait depuis longtemps qu’elle accroît beaucoup leur handicap, à telle enseigne qu’elle était au premier plan dans le syndrome des "dommages cérébraux minimes", précurseur du TDA/H dans les années 1960. Et c’est seulement 20 ans plus tard, que les symptômes émotionnels ont été rétrogradés comme une "caractéristique associée" du TDA/H, et non pas un critère de diagnostic. Depuis lors la place de la dysrégulation émotionnelle dans la définition même du TDA/H est resté débattue.

 

Les affects négatifs et les crises de colère sont plus fréquentes chez les enfants avec TDA/H. Chez eux une labilité de l'humeur est observée dix fois plus souvent que dans la population générale, avec des taux élevés constatés même en l’absence d’autre trouble comorbide, selon une vaste étude britannique récente.
La combinaison du TDA/H et de la dysrégulation des émotions représente pour eux une source majeure de handicap : les problèmes émotionnels ont un impact plus important que l'hyperactivité et l'inattention sur leur bien-être et leur estime de soi, démontrent certaines études.

 

Chez l'adulte la dysrégulation des émotions comptait comme une caractéristique déterminante dans les premières descriptions du TDA/H. Dans les études ultérieures, une dysrégulation émotionnelle est observée chez 34 à 70 % des adultes atteints de TDA/H, notamment par Russel Barkley.

 

Par ailleurs un ensemble d’études conduites depuis plusieurs année, rassemblées dans une méta analyse, a montré que l'irritabilité prédit fortement la survenue au fil du temps des troubles de l'humeur et de l'anxiété.

 

Actuellement des travaux de recherche prometteur suggèrent un nouveau sous type, le « TDA/H avec dysrégulation émotionnelle », distinct des présentations actuelles du DSM-5 (« avec inattention prédominante », « mixte », « avec hyperactivité-impulsivité prédominante »). Ainsi Sarah Karalunas publie en 2019 une étude au titre révélateur : Avons-nous besoin d'un sous-type « irritable » pour le TDA/H ?

 

Les travaux que Sarah Karalunas dirige au laboratoire ATTEND (Attention, Emotion, and Neurophysiological Development) de l’Université de l’Oregon (OHSU) utilisent une technique mathématique appelée « détection de communauté », pour étudier les traits de tempérament. Récemment un groupe d’enfants avec TDA/H a été scruté, dont une large majorité sont prépubères (80 % d’entre eux ont moins de 12 ans lors de l’évaluation finale après 3 ans d’observation).

 

Ces travaux révèlent ainsi trois nouveaux "sous- types" de TDA/H :

• « Léger », fonctionnement émotionnel normatif,

• « Irritable », haut degré d'affects négatifs,

• « Surgent », haut degré de surgency.

Surgency désigne des affects positifs, caractérisés par l'excitation, le bonheur et l’attirance pour les stimuli nouveaux.

 

L'identification du « sous-type Irritable » est la conclusion importante de ces travaux, car il s’avère plus robuste que les deux autres sous-types et offrant une meilleure capacité de pronostic clinique.


Le sous-type « Irritable » montre une stabilité temporelle respectable (60% des enfants restent affectés à ce sous-type pendant leurs trois années de suivi). Pour mettre les choses en perspective, cette stabilité de 60% est bien supérieure à celle observée dans le sous-typage actuel du DSM-5 (« avec inattention prédominante », « mixte », « avec hyperactivité-impulsivité prédominante »).


Le sous-type « Léger » a montré une stabilité similaire à celle du sous-type « Irritable ». Et comme les jeunes du sous-type « Léger » n'ont pas connu de détérioration de leur état, la différenciation entre « Léger » et  « Irritable » semble pertinente et prometteuse sur le plan clinique.


Enfin le sous-type « Surgent » est moins stable et il représente le groupe dont le statut prédictif est le moins concluant.

 

Le sous type « Irritable » prédit spécifiquement l'anxiété, mais pas la survenue de troubles de l'humeur, dans les travaux de Sarah Karalunas. Une explication tient peut-être à l’âge de l’échantillon étudié : seuls 20 % avaient plus de 12 ans lors de l'évaluation finale, c’est-à-dire au moment où la survenue des troubles de l'humeur émerge en général. La poursuite de l’observation de ce même groupe à l’adolescence pourrait donner une image différente, suivi entrepris dès à présent par l’équipe de l’Oregon.

 

Il existe plusieurs idées plus ou moins intuitives concernant les liens entre affects négatifs et TDA/H que les travaux de Sarah Karalunas aboutissent à contredire.

D’abord, concernant la répartition par sexe, le sous-type « Irritable » comprenait 65 % de garçons, ce qui est similaire à la répartition générale des sexes dans l’échantillon et ne diffère pas de manière significative du sous-type « Léger ». Donc pas d’autre déséquilibre entre les sexes chez les « Irritables », que celui habituellement observé dans le TDA/H.

Ensuite, concernant les sous-types actuels du DSM-5 (présentation « avec inattention prédominante », « mixte », « avec hyperactivité-impulsivité prédominante »), la présentation TDA/H « avec inattention prédominante » est plus fréquente dans le sous-type « Léger » que dans les deux autres sous-types. Néanmoins le sous-type « Irritable » comprenait des enfants des trois présentations. Et près de 30 % des enfants ayant la présentation « avec inattention prédominante » se trouvaient dans le sous-type « Irritable ». Donc le sous-type « Irritable » n’est pas simple doublon de l’hyperactivité-impulsivité.

Concernant les liens éventuels entre le sous-type « Irritable » du TDA/H et les diagnostics de « Trouble Oppositionnel avec Provocation » (TOP) et de « Trouble Disruptif avec Dysrégulation de l’Humeur » (TDDH), le sous-type « Irritable » présente des taux plus élevés de comorbidité, comme on pouvait le suspecter. Cependant 65% des enfants du sous-type « Irritable » ne répondent pas aux critères de diagnostic de TOP ou de TDDH.

En outre, 27 % des enfants atteints de TDDH n'étaient pas de sous-type « Irritable » et 42 % des enfants atteints de TOP n'étaient pas de sous-type « Irritable », non plus.

D’autres travaux avaient permis d'identifier de nombreux enfants présentant une irritabilité chronique et invalidante, sans que les critères du TDDH ne soient remplis.

Ces résultats suggèrent que ce sous-type « Irritable » n'est pas réductible à un schéma de comorbidité TDA/H+TOP ou TDA/H+TDDH.

 

Enfin le sous-types « Irritable » contribue à prédire l’évolution clinique, c’est-à-dire le devenir des patients en terme de handicap global, et cela de façon similaire à un autre indicateur bien connu jusque-là, le nombre total de symptômes de TDA/H recensés lors de l’évaluation initiale des patients.

Les travaux de Sarah Karalunas suggèrent donc que, si la gravité des symptômes reste un prédicteur important de l'évolution clinique, l'ajout du tempérament ou d'autres mesures liées aux émotions apporte des informations supplémentaires cruciales, en particulier dans les formes de TDA/H plus graves.

 

L'étude des profils de tempérament pourrait améliorer la compréhension des différences de pronostic individuel. Selon les dimensions spécifiques d'affect négatif (colère, tristesse, anxiété), c’est la colère qui prédit de façon particulière les résultats cliniques pour le sous-type « Irritable ». La colère était plus prédictive que la peur, bien que les troubles anxieux soient les plus fréquents dans l’échantillon étudié.

 

Les travaux de Sarah Karalunas suggèrent donc qu'une différenciation des jeunes atteints de TDAH avec et sans "colère/irritabilité" est prometteuse pour le pronostic différentiel, cela de façon distincte du co-diagnostic de TOP et de TDDH.

 

Ces conclusions stimulantes demandent maintenant à être répliquées par d’autres études faites par d’autres équipes.

Le sluggish coginitive tempo des « hypoactifs »

Rémi Gaillard

Le concept de sluggish coginitive tempo (SCT), ou "rythme cognitif lent", a été introduit il y a plus de trois décennies comme un ensemble de symptômes caractérisés par des rêveries excessives, de la confusion et un brouillard mental, de la somnolence, un ralentissement de la pensée et du comportement.

 

L'étude du SCT a été étroitement liée à celle du TDA/H, initialement, et cette association historique reste présente dans une grande partie de la littérature scientifique. En effet le SCT est fortement associée aux symptômes d'inattention du TDA/H.

 

Pour certains chercheurs le SCT n’est qu’une variante extrême du « TDA/H avec inattention prédominante », ne comportant aucune hyperactivité mais au contraire caractérisé par la lenteur comportementale et cognitive, la léthargie.

 

D’autres chercheurs veulent, quant à eux, distinguer le SCT du TDA/H. La controverse exige pour se clore que la phénoménologie du SCT, son étiologie et son évolution, ses conséquences sur le développement, soient clarifiées. World Psychiatry a donc publié récemment une plaidoirie  pour un déploiement international de la recherche sur le syndrome.

 

Jusqu’à présent le SCT a été principalement étudié aux États-Unis, avec de rares études en Europe occidentale, et encore moins dans l le reste du monde. Nombre de résultats attendent donc d’être répliqués et des domaines d’investigation restent inexplorés.

 

La pertinence clinique de cette constellation de symptômes est pourtant soulignée par l’association observée entre le SCT d’une part, et, d’autre part, difficultés sociales, retrait social et isolement, retentissement académique et résultats scolaires plus faibles, risque accru de suicide. Au plan cognitif, le SCT est associé à une vitesse de traitement plus lente, et une attention soutenue plus faible. Enfin, le SCT prédit la non-réponse ou une réponse plus faible au méthylphénidate chez les enfants atteints de TDA/H.

 

Un ensemble cohérent de symptômes du SCT sont distinguables empiriquement des symptômes d'inattention du TDA/H, et des échelles de cotation du SCT existent pour les parents, les enseignants et les chercheurs. Mais la formulation de certains items du SCT repose sur des expressions idiomatiques très liées à la culture et la langue anglaise (par exemple, “mind gets mixed up”, “seems to be in a fog”).

 

La traduction validée dans différentes langues est une étape nécessaire vers des enquêtes internationales sur le SCT, afin d'examiner si les symptômes du SCT sont pareillement identifiables au sein des différentes cultures.

 

Il reste à établir la validité transculturelle du SCT pour mieux comprendre sa phénoménologie, son développement et son impact fonctionnel, et à examiner si la présence du SCT et son impact sur le devenir fonctionnels sont attribuables à des facteurs sociétaux ou s'ils sont exacerbés par ceux-ci.

TDA/H et 3ème âge

Il est admis que le TDA/H persiste tout au long de la vie, mais l'affection est mal étudiée chez les personnes âgées ; la plupart des études sur le syndrome chez les adultes concernent de jeunes adultes.

 

Cependant il existe une étude australienne précieuse qui examine les relations entre les symptômes du TDA/H et l’évolution des capacités cognitives selon l’âge. Elle fait partie d’une vaste étude longitudinale sur la santé mentale et le vieillissement, menée sur un large échantillon représentatif de la population du pays.

 

Certains résultats en sont inattendus.

 

Deux groupes d’adultes sont constitués et comparés dans cette étude : ceux d'âge moyen (48-52 ans) et ceux plus âgés (68-74 ans).

 

De la même façon que le TDAH diminue de l’enfance à l’âge adulte, ce qui est bien établi dans différents pays à travers le monde, il apparaît dans cette étude australienne que le TDA/H continue à diminuer avec l’âge : les 68-74 ans y sont trois fois moins nombreux à dépasser le seuil diagnostique du TDA/H que les 48-52 ans, sans différence significative entre les hommes et les femmes.

 

Mais les relations entre le TDA/H et l’évolution des fonctions cognitives en fonction de l’âge y sont complexes.

 

Intuitivement on s’attend à ce que les performances cognitives soient principalement associées aux symptômes d'inattention chez les adultes plus âgés.

Effectivement l’étude australienne montre que plus le nombre de symptômes de TDA/H est élevé moins les performances cognitives sont bonnes, dans le groupe des 48-52 ans.

 

Cependant, de façon moins attendue, l'effet des symptômes de TDA/H sur les performances cognitives était plus faible chez les 68-74 ans que chez les 48-52 ans.

 

En outre, de façon surprenante, des niveaux plus élevés de symptômes sont associés à une meilleure capacité verbale, et cela s’observe dans les deux groupes d’âges.

 

Enfin une plus grande hyperactivité est associée à une meilleure flexibilité cognitive chez les adultes plus âgés (68-74 ans). Dans ce groupe, les relations entre les symptômes du TDA/H et la cognition sont fortement associé à la dépression éventuelle.

 

Ce sont en réalité, dans cette étude australienne, les symptômes de la dépression qui sont des prédicteurs forts de la performance cognitive chez les adultes plus âgés.

 

En d’autres termes si l’on fait la part des facteurs liés à la dépression, l’hyperactivité pourrait avoir certains effets protecteurs sur l’évolution des fonctions cognitives liée à l’âge.
Sous réserve que ces résultats soient répliqués par d’autres équipes ailleurs dans le monde, ce serait une nouvelle réconfortante !